Publié le 01/02/2015

Par CARMEN LABILLE



Etel et Alice arrêtées dans l’Aube, mortes à Auschwitz : une douleur toujours intacte



Méry-sur-Seine - Les 27 et 28 janvier 1944, soixante-quatorze juifs, hommes, femmes et enfants, seront arrêtés dans l’Aube. Parmi eux, Etel et Alice, femme et fille du Dr Cuciuc.



 

Né le 1er janvier 1911, à Romanesti (Roumanie), Marcel Cuciuc emménage au 2, route de Soissons à Méry-sur-Seine, en 1938. Avec lui, sa femme, Etel. Marcel exerce en tant que médecin généraliste et possède un équipement radioscopique, l’un des premiers dans la région. Le 2 septembre 1939, il est mobilisé et fait prisonnier, direction la Westphalie. En 1941, il obtient une promesse de libération et espère revenir exercer. Mais d’abord expédié à Châlons, il n’est jamais libéré et est envoyé à Lübeck, en Allemagne, où sont regroupés bon nombre d’officiers juifs.

À mille kilomètres au sud, à leur arrivée à Méry-sur-Seine, les troupes allemandes ont réquisitionné le 2 route de Soissons. Etel Cuciuc et sa fille Alice, née en 1939, sont contraintes de déménager. Elles sont hébergées par l’abbé Charmont, curé de la paroisse, au 48 rue de Chatel, devenue plus tard la rue du Général-Leclerc.


Hors de question de se cacher


Suite aux mesures anti-juives prises par le gouvernement de Vichy, Etel porte l’étoile juive. Tous les mois, elle pointe à la Kommandantur, rue de l’Hôtel-de-Ville, malgré les conseils discrets de fuir. Mais il est hors de question pour Etel de se cacher, elle qui s’est engagée auprès de l’association des femmes de prisonniers de guerre.

Jean Flizot, ancien maire de Méry, se souvient de l’arrestation d’Etel et d’Alice. Il avait 9 ans à l’époque. «  Je marchais sur le trottoir en direction de l’église pour assister à la messe de 7 h 30, j’ai observé devant le numéro 48 une traction Citroën dont la porte arrière droite était grande ouverte, des policiers allemands s’agitaient entre la voiture et la porte d’entrée de la maison, le curé Charmont tenait fermement dans ses bras la petite Alice puis j’ai vu sortir Etel de la maison, avec un sac, accompagné par un Allemand. Celui-ci l’a poussée violemment dans la voiture. Le curé implorait les policiers de lui laisser Alice, qu’il s’en occuperait avec l’aide de Melle Clémence, sa bonne. La petite fut arrachée des bras du curé et poussée près de sa maman. Puis la voiture est partie en un éclair. Le brave curé pleurait à chaudes larmes, lui qui avait participé à la Guerre de 14-18 et déjà vu tellement d’horreur. »

Leur rafle a lieu le 27 janvier 1944, le même jour que celle d’une habitante de Romilly-sur-Seine et de sa petite fille de 11 mois. Après un passage à la Gestapo, rue Diderot à Troyes, puis une brève détention à la prison des Hauts-Clos, Etel et Alice font l’interminable voyage entassées dans des wagons de marchandises dans les pires conditions. Une première halte se déroule à Drancy, avant la destination finale au camp d’extermination d’Auschwitz.

Etel semble ne pas avoir été séparée de sa fille à Drancy, comme la majorité des mères de famille qui avaient des enfants entre 2 et 14 ans. Elles auraient fait partie du voyage du 10 février 1944 et seraient décédées le 15.

Les Méryciens ont toujours conservé une estime et une reconnaissance exceptionnelle pour toute la famille Cuciuc. La municipalité envisage d’ériger une plaque à la mémoire d’Etel et d’Alice.


Sources : Mémorial de la Shoah, recherches de Pierre Benoit, compte rendu de Jean Flizot.


Convoi 68 vers la mort


Les 27 et 28 janvier 1944, soixante-quatorze juifs, presque tous de nationalité française, sont arrêtés dans tout le département. Beaucoup le sont à Troyes, à Bar-sur-Aube ou à Sainte-Savine, mais des rafles sont également organisées au sein de petits villages comme Villacerf (quatre arrestations), Mergey (deux) ou Proverville (une). Une soixantaine d’hommes, femmes et enfants arrêtés le 27 janvier 1944, dont Etel et Alice Cuciuc, figureront quelques jours plus tard dans le convoi n°68 les menant au camp d’extermination d’Auschwitz. Seuls Emma Davis, de Troyes, Théodore Dreyfus, de Soligny-les-Étangs, Georges Franck, de Géraudot, et Serge Hescovici, de Nogent-sur-Aube, seront libérés du camp de Drancy au mois d’août. Au total, on estime à environ 200 le nombre de juifs aubois, Français ou non, déportés entre 1942 et 1944.




Publié le 01/02/2015

Par CARMEN LABILLE